La Fourmi-manioc
Acromyrmex octospinosus, un problème non résolu
L’INRA a travaillé de nombreuses années pour tenter de comprendre et résoudre le problème de la fourmi-manioc, qui cause des pertes sur de nombreuses espèces cultivées en Guadeloupe. Nous faisons ici une synthèse sur les connaissances acquises.
La fourmi-manioc Acromyrmex octospinosus a été signalée pour la première fois en Guadeloupe en 1954 à Morne-à-l’eau. L’origine de cette introduction n’est pas certaine, l’hypothèse la plus vraisemblable est l’introduction fortuite d’une femelle fécondée, apportée de Trinidad ou de Guyane. Quinze ans plus tard, elle occupait le quart de la Grande-Terre, en 1976, elle débarquait en Basse-Terre, en 1982 elle prenait ses quartiers au Lamentin, et en 2000, elle n’épargnait plus que le quart sud-ouest de la Basse-Terre. Aux Antilles, la fourmi-manioc n’est présente que sur les seules les îles de Cuba, Guadeloupe, Carriacou, Trinidad & Tobaggo. Ses populations sont très largement implantées dans les jardins, les friches, les zones cultivées.
Cette dispersion est rendue possible par l’essaimage de fourmis ailées, qui parviennent dans certains cas à fonder de nouvelles colonies.
Les ouvrières découpent des morceaux de végétaux (feuilles, fleurs, tiges, graines...), qu’elles apportent dans leur nid souterrain. Ces fragments végétaux servent de substrat à un champignon mycélien cultivé par les fourmis.
Ces dernières réalisent des boutures du champignon, et le récoltent, pour se nourrir et nourrir les larves. Bénéfice pour les fourmis : apports de sucres, d’acides aminés, de stérols, accès à la biomasse cellulosique, détoxification de certains composés végétaux. Bénéfice pour les champignons : alimentation, protection, environnement stable. Des méthodes de lutte chimiques efficaces ont été mises au point, il s’agissait d’appâts appétants que les ouvrières rapportaient dans les nids. Ces dernières s’empoisonnaient alors en mâchant les granulés, contenant de la chlordécone. Cette méthode n’est plus disponible depuis de nombreuses années.
Cette espèce est très polyphage, et ne se contente pas des plantes cultivées. Depuis les années 90, elle a franchi le pas, et est désormais bien présente dans le massif forestier de la Basse-Terre. Elle cause des dégâts importants, et dans certaines zones une mortalité très importante chez les Fougères. On a donc ici l’exemple d’une espèce introduite, qui a mis plusieurs décennies à atteindre les zones forestières et qui menace désormais un écosystème exceptionnel.
Les chercheurs de l’INRA, et d’autres organismes à l’étranger, se sont longuement penchés sur ce cas. La connaissance a progressé, mais rien n’a pu déboucher sur des méthodes de lutte altternative. Cette espèce est rétive à la lutte biologique, car pourvues de glandes exocrines qui secrètent des antibiotiques, efficaces contre bon nombre de bactéries ou champignons entomopathogènes.
Des essais réalisés à l’INRA en 1987 ont montré que la pulpe de calebasse fraîche avait un effet sur les nids : sur 10 nids traités, 3 furent tués, 3 déplacés et 3 temporairement ’déprimés’. Le dixième nid n’a pas été affecté. Ces essais n’ont pas été poursuivis, la faisabilité de cette lutte ayant découragé les bailleurs de fonds.
L’INRA a également testé l’effet répulsif et insecticide de plantes, dont certaines ont montré une activité (Casse ailée, abricot pays...). Là encore, les applications pratiques semblent difficiles.
La littérature mentionne des essais insecticides avec des matières actives non encore utilisées sur les Attines, ou avec des composés extraits de plantes. Les résultats sont peu concluants, et la réglementation française n’autorise pas l’emploi d’insecticides non homologués en Europe, même s’il s’agit de substances naturelles. Une publication brésilienne de 2003 met en évidence une souche de Bacillus thuringiensis (bactérie entomopathogène) efficace contre le genre Acromyrmex.
La grande difficulté pour contrôler ce ravageur réside dans le fait que les nids sont présents dans de nombreuses zones, discrets et difficiles à atteindre. Les méthodes de lutte chimique sont heureusement abandonnées, les voies de la lutte biologique n’ont pas donné de résultats probants. On se trouve donc pour le moment dans une impasse dans de nombreuses zones agricoles. Des équipes universitaires se penchent actuellement vers d’autres voies novatrices, dont les résultats sont attendus.